01/06/2016

Crasses


La carcasse glisse sur ses fils métalliques m'emportant vers mon chez moi. Dans son ventre énorme, je tente avec insouciance de me plonger dans les méandres d'une lecture sur l'astronomie. Mes attentes s'envolent en même temps qu'un groupe d'individus s'octroie la liberté de nous enfumer. Beuh et tabac, quel mélange magique!

Ce train que j'ai eu sur le fil du rasoir après une journée particulièrement longue et fatigante vient de se transformer en prison. Je confronte mon regard colérique à celui vide et vaguement insolent de ces jeunes. Au bout du cinquième pompier de fortune, l'annonce d'un arrêt prochain achève de me convaincre de quitter les lieux. Tant pis... Quitte à prendre le train suivant ... Traitez moi de lâche si vous le souhaitez, mais le trentenaire au regard de bovin qui les accompagnait m'enjoignait à plutôt fermer ma gueule. Cependant, je n'avais pas pour désir ardent de continuer à me faire empoisonner de la sorte. Crasse comportementale ...

Dès le train arrive à quai, je me glisse dans un autre wagon mais je n'y trouverai ni le confort d'une place ni la concentration nécessaire pour repartir dans le récit qui se déroule sous les yeux. Je tente de m'isoler dans la musique, d'apprécier le paysage. Rien n'y fait. Je rumine.Ces petits cons ont fait descendre dangereusement mon seuil de tolérance. Le moindre contact m'irrite désormais. Il me tarde mon chez-moi.
Le paysage disparait avec le tunnel qui nous engloutit. Je rejoins sans y réfléchir le ban de poissons qui s’agglutinent devant la vitre du bocal. Je me sens très carpe ce soir : muette et pleine de vase. J'agrippe une barre tiédasse et moite que des centaines de mains qui ont tenue avant moi. Crasse métallique ...

J'arrive à la gare et machinalement, je me dirige vers le quai du bus qui me ramènera à la maison. Soudainement, la perspective de retourner dans une boite métallique à côtoyer mes comparses ne m'enchante que très peu. J'ai encore les poumons serrés et les narines qui piquent de l'odeur du goudron vaporeux. J'ai besoin d'air et d'espace. Je décide de rentrer chez moi par le moyen de locomotion le plus basique : mes pieds. C'est plus long, mais qu'importe.

Le chemin me fait hélas longer une route très passante où les échappements m'agressent eux aussi. J'ignore si ce sont mes voies respiratoires malmenées ou l'agacement général qui me fait ressentir l'odeur piquante et légèrement vomitive avec plus d'acuité que d'accoutumée. Crasse pétrolière...

Je rumine à nouveau. Mais bon sang, laissez moi tranquille avec vos gaz ... Qu'avez-vous tous à me priver d'oxygène à la fin!
Étrangement, près de la faculté où j'ai fait mes études, mon regard s’arrête sur un coquelicot écarlate qui s'accroche dans un carré de graviers et de béton. En cette soirée qui me semble monochrome avec le gris des nuages, le triste bitume et cette pluie déprimante, cette vision me rafraichit les idées. Encore vingts minutes et je serai chez moi. Allez encore un petit effort.

Ma progression est ensuite stoppée au passage à niveau où un train vide me semble mettre une éternité à passer. Les voitures qui me jouxtent m'importunent. Le conducteur qui se trouve à côté de moi semble aussi impatient que moi et donne de petites accélérations qui font dégazer son moteur. Malheureusement, le vent me ramène sa crasse à la figure. Mec, je te pète pas à la gueule, si tu pouvais éviter de faire de même avec ton véhicule, je t'en serai particulièrement reconnaissante... Je m'énerve. Je songe à ses abrutis qui ont volé en quelques bouffées nauséabondes tous les rires de ma journée. Et ce train qui n'en finit plus. Crasses mémorielles ...

Il y a des jours où je me sens comme Gulliver après avoir rencontré les Houyhnhnms. Heureusement, contrairement à lui, c'est passager.
Je n'avais pas forcément imaginé ce genre de billet pour "fêter" mon trois-centième article, mais ce qui reste au fond à tendance à pourrir, alors autant épancher par les mots la crasse qui pourrait se former.

J'éteins le cerveau pour ce soir. Avec un peu de chance, je referai un rêve comme hier soir plein d'étoiles, de galaxies et de couleurs. Un bon décrassage, ça va me faire du bien!

3 commentaires:

Catherine a dit…

Journée glauque mais écriture lumineuse, bravo Lathilde !
A bientôt la suite de tes aventures ? ^^

thilde a dit…

Merci :-)
Les aventures étant plutôt intenses en ce moment, je vais attendre que ça se calme un peu avant de poursuivre.

Tif' a dit…

Ma pauvre ! L'humanité a tellement à faire pour améliorer sa condition...